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« Mon autopsie » de Jean-Louis Fournier

Dans un livre post mortem, Jean-Louis Fournier s’imagine sur le point d’être dépecé pour les besoins de la science, évoquant ce qu’il fut.

Jean-Louis Fournier a décidé de l’annoncer lui-même. Il est mort. Et comme il avait donné son corps à la science, étendu sur la table de dissection, il attend sagement d’être dépecé.

Réduit à l’état de gisant, il a tout loisir de réviser sa vie, d’en détailler les épisodes, de revenir sur son enfance, sa carrière de réalisateur à la télévision, son amitié de désespérés avec Pierre Desproges (M. Cyclopède, c’était eux !), sa reconversion comme écrivain à succès avec des thèmes sinistres comme l’alcoolisme de son père, l’hypocondrie de sa mère, ses deux enfants lourdement handicapés (Où on va, papa ?, prix Femina), les atteintes de la vieillesse, la mort subite de sa femme, l’éloignement de sa fille, qui a viré bigote. Il ne pardonne pas au Bon Dieu de la lui avoir ravie, alors qu’il avait consciencieusement écrit Dieu dans ses papiers, à la rubrique « personne à prévenir en cas d’accident ».

Ce récit loufoque et tragique, en chapitres courts et secs, est scandé par les interventions muettes de la jeune femme qui le découpe avec application, membre après membre. Jean-Louis Fournier la surnomme Égoïne­. Cadavre exquis, il en tombe amoureux, lui invente une vie. Un peu jaloux, il essaie de l’imaginer en dehors de ce cadre professionnel peu reluisant.

Sur sa plaque froide de trépassé charcuté, il donne aussi son avis sur l’époque qu’il vient de quitter. Provocateur en diable, il hait les jeunes dont il ne supportait plus les caquetages imbéciles, leur soumission servile aux prothèses numériques, leur grégarisme prévisible. Les femmes de sa vie, de préférence moins âgées que lui, devaient porter, à sa demande, ce tee-shirt : « J’aime les vieux, ils pensent mieux. »

Comme toujours chez Jean-Louis Fournier, le rire cache les larmes. Ce zigoto sait masquer sa détresse par des pirouettes et des traits d’esprits fulgurants, pour cacher la tristesse qui l’accable par moments. Entre deux séances de scalpel, de pinces et de scie, ses confessions balancent du poignant à l’hilarant. Depuis longtemps, Jean-Louis Fournier prend soin de maquiller sa solitude existentielle par des bons mots qui en détruisent l’amertume ou le chagrin.

Si un jour, Jean-Louis Fournier venait à mourir pour de bon, ce qu’à Dieu ne plaise, une requête, une ultime faveur : qu’il fasse ce qu’il veut de son corps mais, de grâce, qu’il lègue son cerveau et surtout son esprit à l’humanité. Elle ne s’en portera que mieux.

©La Croix - Jean-Claude Raspiengeas