AuteurCaroline Debodinat

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«DES PLATS ET DÉLIÉS», CONFIDENCES EN BOUCHE

L'écrivain Jean-Louis Fournier se met à table dans l'Arrière-cuisine, la collection de souvenirs gourmands crée par les éditions Keribus. Savoureux et jubilatoire.

Les éditions Keribus sont un régal pour qui aime lire et fricasser (parfois les deux en même temps). Il y a deux ans, on s’était délecté de leur Prolongement du geste, petite étude des outils de chefs en cuisine, le précieux livre ovni de Laurent Dupont. Ce photographe, passionné de cuisine, avait demandé à 46 chefs (David Toutain, Sébastien Bras, Pierre Gagnaire, Christelle Brua…) de raconter leur outil fétiche. Leurs mots et les images de Laurent Dupont disaient toute la force et la sensibilité du lien, presque fusionnel qui unit l’homme et l’instrument. Cette fois, Keribus revient dans notre assiette avec une collection baptisée «l’Arrière-cuisine». Soit des petits livres sincères et gourmands comme le carré de chocolat de l’enfance, à la sortie de la communale. Car il est question ici de souvenirs – «la bonne cuisine, c’est le souvenir», disait Georges Simenon. Ceux de personnalités qui racontent des émotions, des humeurs, des saveurs, des lubies associées à un repas, un être, un plat, une boisson…

C’est peu dire qu’on se met à table dans cette arrière-cuisine-là que l’on a entamée avec le livre sur Jean-Louis Fournier, réalisateur, créateur de La Noiraude, écrivain et lauréat du prix Femina en 2008 pour Où on va, papa ?. Voici une centaine de pages écrites par la journaliste-portraitiste Caroline de Bodinat que l’on entrouvre comme un millefeuille de confidences. «Moi qui m’ennuie souvent, moi qui me lasse de tout, il y a dans ma journée deux moments dont je me réjouis toujours, le déjeuner et le dîner. Quand j’étais petit, il y en avait trois, avec le goûter. Dans les maisons de retraite, le goûter revient. Il y a des plaisirs qui durent…» dit Jean-Louis Fournier. Dans ses placards, cette fine gueule a toujours «de la roquette, du parmesan et un citron au frais». Il ne peut vivre sans œuf et loue «Monsieur Picard chez qui il achète la tourte au gibier, des tartares de Saint-Jacques, les soupes et les confits».

A 10 ans, Jean-Louis Fournier a découvert le steak au poivre dont il détaille l’art avec la précision d’un horloger suisse quand dans la poêle il ajoute le beurre qui «se mélange avec le suc de la viande, tu verses un peu de crème fraîche. Le moment que je préfère est quand le blanc innocent de la crème vire au brun. A cela tu ajoutes un peu de cognac, tu craques une allumette et tu flambes. Servi avec des frites, c’est un feu d’artifice».

Mauvais melon

On salive à la lecture des péchés mignons de ce bec fin et l’on jubile aussi quand il passe sur le gril ses aversions que sont «le mauvais melon, orange tirant sur le saumon avec un goût de navet» ou «pire encore, des tranches de mortadelle, rose layette avec des pistaches incrustées dedans», souvenirs rogatons de «dîners pourris». Et l’on se régale de ses«principes culinaires» comme d’une tranche de morbier rehaussée de quelques tours de moulin à poivre. Retenez notamment le principe numéro 5 : «Je me méfie des vins que l’on garde pour des grandes occasions. Quand on est mort, ce sont les autres qui les boivent.»

©Libération - Jacky Durand